mercredi 8 avril 2020

Tête de pont de Sant Oisme

La Baronia de Sant Oïsme est un hameau situé sur la route C13, entre Tremp et Balaguer, juste après le Pas de Terradets et le croisement de la route menant dans le vall d'Ager. Le hameau surplombe la grande retenue d’eau appelée panta de Camarasa. 
Le hameau possède une église Romane, ainsi qu'un ensemble médiéval et une tour de guet du 11eme siècle. Il fut le témoin discret d’événements dramatiques de l'histoire de l'Espagne et de la Catalogne pendant la guerre civile. Cet article est un complément de celui écrit sur le front du Pallars en 1938 puisqu'il retrace les événements qui se sont déroulés à la même époque, mais dans les montagnes du nord de la Noguera.

Avril 1938, la guerre arrive dans la Noguera

Le 7 Mars 1938, l’armée rebelle commandée par le général Franco, qui occupe une partie de l’Aragon dont Saragosse et Huesca déclenche une vaste offensive sur un front allant de Teruel jusqu’aux Pyrénées. L'armée de la république espagnole, affaiblie par la bataille de Teruel, résiste comme elle peut. Le courage des combattants ne suffit pas. Le front est vite percé et l’avancé des nationalistes vers le nord et l’est est rapide. Le 3 avril, Lleida tombe aux mains des corps d’armée du Maroc et d’Aragon. Le même jour, le Sègre est franchi entre Serós et de Balaguer. Les troupes franquistes entreprennent de remonter le long de cette rivière pour s’emparer de l’usine hydraulique de Camarasa et faire leur fonction avec le corps de Navarre du général José Solchaga Zala dont les 61eme, 62eme et 63eme  divisions ont franchi la Noguera Ribargorçana au niveau du Pont de Montañana le 6 avril et se sont emparées de Tremp le lendemain.
Baronia de Sant Oïsme à gauche et la Nogura Pallaresa à droite    

De Tremp, une colonne de la 63eme division reçoit l’ordre de partir vers le sud afin d’occuper la centrale des Terradets, puis le pont de la Passarella dont sa prise intacte est vitale pour pouvoir communiquer avec le Vall d’Ager.Pendant ce  temps, la 61eme division franchit le Montsec d’Ares, occupe le vall d’Ager, et arrive au pont de la Passarella le 8 avril. Le lendemain quelques éléments de cette unité occupent la partie sud du Montsec de Rubies. Le lendemain, le hameau de Rubies, le turro de de Sant Père (1204 m) et la côte située à 1250 m de la Creu sont occupés. Ce même jour la 63eme division arrive au pont de la Passarella.

Le 10 avril, le tercio de la Virgen Blanca et un escadron du régiment Numancia de la 61eme division occupent le hameau de la Baronia de Sant Oïsme et prennent positions sur les hauteurs du petit massif de la sierra de l’Altera qui culmine à 677 m. Le 16 avril, cette même unité conquiert la position républicaine de la côte 1261 de Badaull de Rubies afin de protéger le hameau de Rubies.

Lorsque Franco ordonne l’arrêt de l’offensive, l’armée franquiste occupe au sud du Montsec de Rubies une petite tête de pont sur la rive gauche de la Noguera Pallarasa qui lui permet de contrôler la route entre Tremp à Balaguer.

Positions franquiste (bleu) et républicaine (rouge) au mois de Mai 1938
Positions franquiste (bleu) et républicaine (rouge) au mois de Mai 1938

Partant de la Portella Blanca, située dans le Montsec de Rubies, et qui est protégée par des tranchées, la 51eme division franquiste occupe donc, au sud, le hameau de Rubies et les hauteurs à l’est et au sud-est du hameau : les alentours du coll de Creu, le sommet de Badaüll (1261m) et les sommets Sant-Père (1211 m) et de la Roca Alta (1178 m) situés dans le cinglo de la Grallera. Les postions descendent ensuite jusqu’au pont de la Passerella sur le Sègre.

Situé au-dessus de l’actuel camping Zodiac, l’accès au ravin de Montnar et dels Cussols sont protégés par des casemates, des murs de pierres et des postes de tirs ; Il est en effet impossible de creuser des tranchées sur ce terrain rocheux. Le côté est du ravin menant à la font de l’Altera est également protégé par des murs de pierre et de nombreuses casemates. Dans tout le massif de l’Altera, qui culmine à 677 m, des murs de pierre et des cabanes sont construits.


Tour de guet de la Baronia

Après la réorganisation de l'armée républicaine, la 30eme division commandée par Nicanor Felipe Martínez composée des 131eme, 146eme et 153eme brigades mixtes s’installe à la mi-avril dans une zone allant du Monstec de Rubies à Camarasa. Au nord, les troupes républicaines s’installent dans des tranchées situées un peu à l’est d’une ligne allant du tossal de les Torretes (1677 m) au llau de Badaüll puis à un promontoire rocheux situé à l’est du massif de l’Altera. Des tranchées et des murs de pierre sont construits autour des ruines de l’ermitage de Santa Margarida du Munnar ainsi que sur les mamelons situés un peu plus à l’est. La ligne de défense républicaine rejoint ensuite le petit sommet de la Terrassa (731 m) et les hauteurs situées un peu au nord du village de Figuerola de Meia. Elle passe ensuite dans la pente qui descend vers le ravin des Canemars un peu au nord de Fontllonga puis rejoint la rivière Sègre. Figuerol de Meia et Fontllonga abritent les soldats de la 146eme brigade mixte lorsque qu’ils ne sont pas dans les tranchées. Les ruines du château de ce dernier village servent d’observatoire. L’artillerie est positionnée au coll d’Orenga
Les troupes de réserves sont cantonnées dans des villages proches de la Noguera : Artesa de Sègre, Montsonis, Alos de Balaguer, …

Le pas des Terradets au fond et au premier plan, l'emplacement du camping Zodiac

Les attaques du mois de Mai 1938

Le 21 Mai, en préparation de la grande contre-attaque républicaine sur la ligne de front du Sègre et de la Noguera Pallaresa, les troupes d’assaut arrivent par camions à Figuerola de Meia. Leur équipement est faible. Il est complété de quelques cartouches et quelques grenades. Les soldats montent ensuite vers les premières lignes de la zone de Badaull et de la sierra de l’Altera.

Le lendemain, a deux heures du matin, l’artillerie ouvre le feu sur les postions franquistes défendues par le 4eme bataillon du régiment Valladolid. Les tirs, mal cadrés touchent également les positions républicaines du barranc de Badaull.

Puis, l’infanterie républicaine monte à l’assaut des positions franquistes situées entre le sommet de Badaüll et la Portella Blanca. Malgré des violents combats, l’attaque est indécise. Elle est finalement repoussée. Les pertes sont importantes. Au soir, les républicaines comptent des dizaines de mort et plus de 200 blessés. Leur évacuation est un calvaire. D’abord rassemblés dans une petite cabane, située au pied du tossal de Mirapallars, ils sont ensuite évacués à dos de mulets puis par des camions jusqu’à une ferme transformées en hôpital de campagne située à Artesa de Sègre puis à l’université de Cervera qui a été transformée en hôpital. Beaucoup de blessés vont y mourir.

L’attaque reprend le lendemain avec toujours la même tactique guère efficace : une rapide préparation d’artillerie puis une attaque frontale. Elle est encore repoussée.

Le 24, les troupes républicaines réussissent à percer les défenses franquistes mais l’arrivée de renforts permet aux troupes franquistes de reprendre les positions. Les combats au corps à corps se poursuivent toute la journée sans résultats.

Positions franquistes au sommet de l'Altera (677 m)

Le 25, les troupes républicaines tentent de conquérir le massif de l’Altera et la côte 692 m défendue par le 19eme régiment de Galice sans succès. Les combats vont durer trois jours. Les assauts succédant aux assauts. L’artillerie franquiste plus puissante brise ces attaques. Malgré la violence des combats et le grand nombre de pertes, les combats n’aboutissent à rien. Dans le ravin de Badaull, les combats se poursuivent également, sans résultats notables. Les dernières attaquent ont lieu le 27 Mai puis s’arrêtent devant les lourdes pertes, non justifiées.

Ce secteur rester calme pendant des mois. Il va vivre au rythme des relèves d’unités, du renforcement des positions par des unités du génie et de quelques duels sporadiques d’artillerie.

Au mois de novembre 1938, la 26eme division s’installe dans le secteur. Les 119eme et 120eme brigades mixtes occupent la zone située entre le Montsec et Camarasa.

Mur de défense franquiste au sommet du massif de l'Altera avec la montagne de Sant-Mamet au fond

Décembre 1938, l'invasion de la Catalogne

Après la bataille de l’Ebre qui a saigné à blanc l’armée républicaine, Franco donne l’ordre d’envahir la Catalogne. L’effort maximal de l’attaque doit se porter sur les deux flancs de la serra de Montsec.

Offensive franquiste de décembre 1938
La 1ere division du corps d’armée de Maestrat reçoit l’ordre de percer le front républicain de la tête de pont de Sant OÏsme, puis d’escalader la montagne de Sant Mamet pour aller occuper Artesa de Segre, 3 jours après le début de l’attaque. Ensuite, la division devra rejoindre d’autres unités attaquant à partir de la tête de pont de Balaguer dans la région d’Agramunt.

Position républicaine face au massif de l'Altera

Pour réussir cette mission, la division a été renforcée par des mortiers et ces capacités logistiques augmentés par l’apport de mulets, bien plus adaptés à la difficulté du terrain que des camions. Elle reçoit également le renfort du 3eme régiment de la 51eme division. Elle s’installe dans la région de Os de Balaguer, Avellanes et à Santa Linya dans le courant du mois de Décembre. Une intense activité logistique, environ 500 mulets, permet alors d’apporter le matériel nécessaire à l’offensive. Le 22 décembre, le bataillon défendant la tête de pont de la baronnie de Sant Oisme est relevé par le 5eme tabor de Ceuta. Il est chargé de l’attaque initiale. Les deux autres régiments de la division restent sur la rive droite de la Noguera en réserve avec les 82eme et 84eme divisions.

Reste des combats meurtriers de décembre 2021

Le front républicain est tenu par les 2400 hommes de la 119eme brigade mixte. Il peut éventuellement être renforcé par les 1700 hommes de la 121eme brigade mixte en réserve dans la région de Baldomar. Ces deux unités sont incomplètes. Elles manquent de matériels, de munitions, d’entrainement et sont démoralisées par l’échec de la bataille de l’Ebre. En outre, l’armée républicaine manque d’artillerie, notamment dans ce secteur.

La tendance est au relâchement. Le président de la république, Manuel Azaňa, n’a-t-il pas déclaré qu’il ne se passera rien pendant la trêve de noël. Du coup, dans beaucoup d’unités, comme dans les escadrilles de la Gloriosa, l’aviation de la république, on se prépare plus à passer les fêtes de Noel qu’à repousser une attaque.

Grenade de mortier de 81 mm. Inutile de chercher cette munition, le site a été sécurisé par les Mossos d'Esquadra site à ma visite

Le 23 décembre, après une grosse préparation d’artillerie et de nombreux raids aériens, les troupes franquistes passent à l’attaque. Profitant d’une brume épaisse, elles descendent de leur position de la serra de l’Altera, traversent le barranc dels Canemars et prennent les troupes républicaines par surprises. Celles-ci reculent, laissant beaucoup de morts sur le terrain. Fontllonga, la colline de Cabeçola (801 m) puis Figuerola de Meià sont rapidement occupées. En fin de matinée, le front républicain est percé. Dans la foulée, elles conquièrent au sud le sommet de la montagne d’Altavista et le tossal de Montservo qui culmine à 1137 m. Profitant de la nuit et du mauvais temps, les soldats de la 119eme brigade mixte contre-attaquent pour reprendre la côte 1125, la colline de Cabeçola et la côte 948. Ils subissent de lourdes pertes sans réussir à reprendre le terrain perdu.

Pendant ce temps, la première division d‘infanterie franquiste reçoit des renforts destinés à occuper et nettoyer le terrain conquis. Toute la nuit, les unités du génie vont s’employer à améliorer les communications entre le front et les positions arrière. Le seul sentier qui relie la Baronia à Fontllonga est saturé d’hommes de mulets. Le relief et la densité de la végétation rendent difficile la montée en ligne des troupes, des munitions et de la nourriture ainsi que l’évacuation des blessés. Ces difficultés ne feront qu’augmenter avec l’avance de l’offensive. En outre, les deux pontons qui permettant de communiquer entre les deux rives de la Noguera-Pallaresa sont insuffisant.

Murs de défense républicains face à la tête de pont de l'Altera

Le lendemain, le 24 décembre, l'avance de la 1ere Division franquiste continue. Fort d’un soutien aérien intense, elle prend pied sur la montagne de Sant-Mamet à 15 heures malgré une résistance désespérée de la 119eme brigade. Celle-ci, résistant dans un premier temps, finie par faiblir. Les positions situées un peu au sud du sommet, Pedra-Roja (1089 m) et Malagostà sont également prises et consolidées.

Sommet de l'Altera à gauche vu des positions républicaines

Sur le flanc nord de l’offensive, le 3eme régiment de la 51eme DI progresse également. Il conquiert le hameau de Perauba et arrive au pied du pic de Badaull. Un autre groupe arrive sur la colline d’Orenga. Son objectif est de faire la jonction avec les troupes de la 61eme division qui sont toujours bloqués dans le Desferrador, dsur le flanc nord du Montec de Rubies. La 150eme division progresse vers le col de Comiols malgré une forte résistance. Sur le flanc sud de l’offensive, Le 2eme régiment continue sa progression vers le Sègre et conquiert le tossals dels tres Battles (863 m).

Massif de l'Altera au premier plan à droite vu de Fontllonga. Au premier plan à droite étaient les positions républicaine. Au second plan, le montsec de Rubies

Pour ralentir l’avance des troupes franquistes, un appui aérien est demandé. 9 bombardiers Polikarpov RZ « Natachas » de la deuxième escadrille du groupe 30 basé à Garriga et escortés par 19 Polikarpov i-16 des 6eme et 7eme escadrilles décollent pour aller bombarder Fontllonga et ces environs. Les avions arrivent vers 15 heures 20. Alors qu’ils plongent vers leurs cibles, ils sont accueillis par une importante DCA puis interceptés par une formation de chasseurs Fiat CR 32 commandés par l’as des as de l’aviation franquiste Moraro. Les Polikarpov mal positionnés ne peuvent protégés les bombardiers. Un des bombardiers s’écrase à proximité du barranc de Sant-Marti au-dessus d’Alos de Balaguer et a 1 km au sud de Fontllonga. Un autre s’écrase dans le lac de Camarasa. Il sera retrouvé en 1992. Plusieurs autres appareils, endommagés, se posent un peu n’ importe où sur le chemin du retour. Finalement, seul deux bombardiers rentrent à la base. Des 18 membres d’équipages, 3 sont tués, 2 prisonniers, 7 blessés. L’escadrille n’existe plus. Elle sera dissoute le 27 décembre.

Le massif de l'Altera vu de la montagne de Sant-Mamet

Les renforts républicains, notamment la 218eme brigade mixte dépendant de la 34eme division, arrivent au compte-goutte au grès du retour des permissionnaires. Partant de leurs casernements situés à Artesa de Segre, Montsonis, Rubio, Marcovau et Foradada, ils arrivent dans la nuit à Alos de Balaguer puis à 7 heures du matin rejoignent la ligne de front. Ils ne suffisent pas à stopper l’offensive.
En montant au sommet de Sant-Mamet

L’avance se poursuit, inexorablement, les jours suivant. Au sud, les troupes franquistes rentrent dans le village de Maçana, au sud de Fontllonga. Dans la matinée du 26 décembre, la 5eme bandera de la Légion prend d'assaut le sommet du Castellàs (771 m) au-dessus d’Alos-de-Balaguer, sérieusement défendu par les troupes républicaines. Les combats pour le contrôle de la position vont durer toute la nuit. L’assaut franquiste va couter 14 morts et 31 blessés tandis que les républicaines laissent sur le terrain 100 morts, 150 prisonniers et du matériel.

Ermitage de Sant-Mamet
Du sommet Sant Mamet, les troupes franquistes descendent vers Alos-de-balaguer par la piste passant par le corral des Coms et la source de La Granolla. Ce chemin est de nos jours utilisé par les randonneurs pour monter à Sant-Mamet. Les sommets de Peñarreba puis du Castellas sont à la suite pris sans trop de résistance. Dans la foulée Alos de Balagueur tombe.

Alos de Balaguer

Au nord de la montagne de Sant-Mamet, les troupes franquistes poursuivent leur progression. Le 27 décembre au matin, Santa-Maria de Meià. Deux jours plus tard, elles feront leur jonction avec la 51eme division qui descend du Desferrador et prendront Vilanova de Meià puis le hameau de Lluçars.

Après une semaine de combats, les troupes franquistes n’ont toujours pas atteint leur objectif, Artesa de Sègre. Les troupes républicaines ayant reçues des renforts, notamment quelques canons et des chars, et aidées par le relief accidenté et le mauvais temps opposent une belle résistance sur la ligne Baldomar – La Clua.

Plaine d'Artesa de Sègre (au-milieu de la photo). Au second plan, le serra de Munt. le Sègre coule au niveau des arbres, à droite sur la photo

Le 29 Décembre, les 82eme et 84eme divisions attaquent à partir de la tête de pont de Balaguer. Camarasa tombe rapidement. Ces deux unités progressent rapidement vers Artesa de Sègre. Les positions républicaines de la ligne Baldomar – La Clua vont céder peu à peu : le ravin de Camallonga au sud-est de Vilanova de Maià, Sant-Ermengol vers le nord-est, le secteur clé de la Serra Grossa le 31 conquis par le 8eme bataillon d’Amérique au prix de lourdes pertes et Baldomar le 2 janvier.

L’étau se referme sur Artesa de Sègre. Le 3 Janvier au matin, un groupe de la 150eme division passe le Sègre vers Anyà mais ne va pas plus loin que le canal d’Urgell. A l’est et au sud-est les autres unités ne sont plus qu’à quelques kilomètres. Montsonis est occupé le même jour.

Finalement, après quelques tentatives infructueuses, les soldats franquistes franchissent le Sègre à Vernet puis entrent dans Artesa et occupent rapidement le sommet du Castellot le 4 janvier en fin d’après-midi

Artesa de Sègre vue du sommet de Lo Castellot (478 m). Au fond, à droite, se trouve la montagne de Sant-Mamet
Dès lors, la résistance s'écroule. Le 26 janvier, l'armée du général Franco occupait Barcelona et le 10 février l'ensemble de la Catalogne.

 

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